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Chroniques
Die Walküre | La Walkyrie
opéra de Richard Wagner (version de concert)
À la tête des musiciens du Bayrerisches Staatsorchester dont il est le patron depuis six ans déjà, Kent Nagano revient à Paris avec un concert qui s’inscrit dans le vaste parcours wagnérien de la formation munichoise par tradition et du chef lui-même par choix, ces dernières années. Ainsi, après Parsifal l’an dernier [lire notre chronique du 14 avril 2011], c’est à Die Walküre qu’est consacrée la soirée. Car, si Tannhäuser et Lohengrin ne furent pas dédaignés par la baguette californienne ces derniers temps [lire nos chroniques des 28 et 29 juillet 2010], c’est à un Ring complet qu’elle s’emploie cette saison-ci, conclu en juin prochain par Götterdämmerung.
La Walkyrie, donc…
On ne s’étonnera guère que le rôle-titre soit distribué à Nina Stemme, grande voix entre toutes, qui livre une interprétation parfaitement convaincante. De magistrale façon, sa Brünnhilde envahit la salle, comme sans effort, d’un velours irrésistible qui la fait tendrement déterminée. La présence s’impose idéalement, par delà la surprise d’un vague flottement de la concentration au troisième acte. Saluons la conduite ténue de la ligne vocale, l’élégance jamais démentie de son phrasé. Avec un naturel confondant, Michaela Schuster livre une Fricka passionnante dont la liberté de ton séduit d’emblée. Elle propulse l’écoute au théâtre sans outrepasser cependant la « mesure » d’une version de concert. Intelligence du texte, expressivité à fleur de peau et grande sensibilité musicale caractérisent ces deux incarnations. Plus en demi-teinte se révèle la Sieglinde d’Anja Kampe, d’abord un rien instable dans les premiers pas, puis de plus en plus affirmée, offrant à l’Acte II toute la plénitude d’un organe satisfaisant, quand bien même le lyrisme s’en trouverait plus « classique » qu’attendu dans ce rôle. Mais encore pourra-t-on discuter le choix d’une telle voix dans une vue plus positive, partant que le personnage, avant que de désobéir, se trouve contrit dans une soumission oppressive ; de là cette timidité particulière, peut-être, comme à d’autres jeunes héroïnes wagnériennes, hormis la rebelle Senta.
On ne saurait en dire autant du trio masculin, relativement inégal, si ce n’est problématique. À commencer par Lance Ryan, certes vaillant, puissant même, et dont impressionne un souffle qui semble inépuisable, mais encore vociférant, dont l’émission étrangement coincée entre le palais et les fosses nasales aigrit cruellement un timbre qui ne naquit peut-être pas si vilain. Son Siegmund est criard, agressif presque toujours, lorsqu’il n’est pas exsangue, puisque la nuance se résume à de soudaines chutes détimbrées dans une vertigineuse anémie. Nous retrouvons Thomas Johannes Mayer dont le Wotan demeure prudent, avec un grave timoré dans le deuxième acte, plus affirmé dans ses adieux. La riche couleur du médium et l’impact avantageux de l’aigu servent incontestablement le rôle, mais il manque un certain grain que cependant le baryton-basse possède, on le sait ; sans doute ne faut-il voir là que l’expression d’une petite forme plutôt que carence ou choix interprétatif. Enfin, l’Estonien Ain Anger est redoutablement efficace. L’étonnante pâte de cette voix à la présence charismatique, rehaussée d’un chant large au legato souverain, souligne en Hunding le belliqueux une certaine noblesse qu’à la scène on oublie parfois (souvenez-vous, le bonhomme est à la fois capable de prêter main forte à un rapt honteux et de respecter l’hospitalité, par exemple). Outre la Waltraute attachante d’Heike Grötzinger, solidement accrochée au registre bas, aucune des vierges ne déméritent, qu’elles s’appellent Alexandra Petersamer, Okka von der Damerau, Roswita C.Müller (fort belle Siegrune), Danielle Halbwachs, Anaïk Morel, Erika Wueschner ou Golda Schultz.
« Prudent », disions-nous de Wotan. Le terme définira également la prestation de Kent Nagano. Il ouvre l’exécution par un orage ferme, sèchement électrique, de ceux qui brisent les vitres sans inonder les prairies. L’effervescence n’en est pas moins là, mais une conception un rien fragmentée ne fait guère le jeu du premier acte. Le deuxième est favorisé par une interprétation plus engagée dans le drame, qui atteint sa clé de voûte au seuil du duel. Le dernier épisode est terni par le soin indispensable qu’il lui faut vérifier de l’équilibre entre l’orchestre et les chanteurs. De fait, une partie du problème résulte vraisemblablement de cet aspect non négligeable. Ainsi cette Walküre, bien qu’affichant un bon niveau, laisse-t-elle sur sa faim.
BB